Des projets qui mêlent intelligence artificielle et médecine développés à l’Idiap !

André Anjos

Chaque mois, nous partons à la rencontre d’acteurs de l’écosystème de la santé valaisanne et mettons en lumière les projets innovants qui font la médecine de demain. Ce mois-ci, c’est M. André Anjos, Professeur et Chercheur au sein de l’Institut de recherche Idiap de Martigny qui nous en apprend un peu plus sur les projets novateurs, qui mêlent intelligence artificielle et médecine, actuellement en cours de développement dans ses laboratoires. Retrouvez ses propos dans l’interview ci-dessous.

M. Anjos, décrivez-nous votre parcours professionnel en quelques mots.

J’ai un parcours multi-disciplinaire, toujours lié à l’application de l’intelligence artificielle (IA), dans différents domaines scientifiques. J’ai reçu mon Ph.D. en Traitement de Signaux de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro au Brésil en 2006.  Mon travail de Ph.D a été exécuté en grande partie au CERN, à Genève. Il concernait la vision par ordinateur (« computer vision ») et l’intelligence artificielle appliquée à la physique des particules. En 2010, j’ai rejoint le groupe de Biométrie à l’Idiap où j’ai eu l’opportunité de travailler sur la reconnaissance biométrique. En 2018, j’ai été promu à l’Idiap, ce qui m’a permis fonder mon propre groupe et de travailler plus spécifiquement sur des données médicales. Aujourd’hui, nous développons davantage l’analyse par l’intelligence artificielle de données cliniques, de séquences temporelles (e.g. signes vitaux) et, surtout, de l’imagerie médicale. En parallèle, je suis enseignant au Master en Intelligence Artificielle, une collaboration entre l’Idiap et UniDistance. J’enseigne également à la l’École d’Ingénierie au niveau doctoral à l’EPFL.

Pourquoi avoir choisi l’Idiap ?

L’Idiap est un institut qui réunit beaucoup de qualités pour un chercheur scientifique en IA. Tout d’abord, l’intelligence artificielle est le cœur de métier de l’institut et, ceci, depuis sa fondation. L’Idiap réunit notamment différents spécialistes dans cette matière (notamment en robotique, vision, machine learning, biométrie, social computing, …), ce qui permet un échange continu des idées et un procès d’innovation assez dynamique entre nous tous.  

Au-delà de sa notable réputation scientifique, l’institut est également une antenne d’innovation dans sa région à travers IdeArk. Cette dualité très intéressante permet aux chercheurs de travailler à la fois sur des projets académiques et industriels, créant ainsi une perméabilité optimale entre recherche et application. Au fil des années, l’Idiap a créé des liens forts avec des institutions académiques et des hôpitaux dans toute la Suisse, ce qui permet d’initier des collaborations très importantes scientifiquement.

Sur quel(s) projet(s) travaillez-vous actuellement ?

Depuis 2018, je suis chef d’un groupe dédié à l’application de l’IA aux données médicales, et sur le traitement de signaux issus d’êtres vivants nommé Biosignal Processing Group. Actuellement, je travaille sur trois projets différents: le dépistage de la tuberculose pulmonaire active par des images radiographiques thoraciques, le dépistage de maladies oculaires par de la rétinographie et une plateforme IA pour simplifier la reproductibilité en recherche scientifique.

Pour le projet qui concerne la tuberculose (TB) pulmonaire active, il faut savoir que 25% de la population mondiale porte la bactérie de la TB de manière latente, et que la maladie peut s’activer chez ces personnes à n’importe quel moment. La TB est la 2e cause de décès par maladie infectieuse au niveau mondial. Pour éliminer cette maladie à l’horizon 2050, l’OMS soutient qu’il faut impérativement identifier et traiter ces patients avant qu’ils ne deviennent transmetteurs de la maladie. Nous nous sommes fixés comme objectif de développer un système d’aide au diagnostic basé sur le deep learning. Celui-ci permet d’interpréter les images radiographiques thoraciques des personnes avec TB pulmonaire active parmi les candidats à un traitement d’infection latente. Performant, le système final doit être interprétable par les médecins traitants qui suivent les patients. Ce projet est mené en partenariat avec l’Université Fédérale de Rio de Janeiro au Brésil et divers spécialistes qui luttent contre cette maladie. L’algorithme développé au sein de l’Idiap pourra être implémenté dans le Système Unique de Santé (SUS) au Brésil à la fin du projet. Actuellement, nous sommes au stade de la récolte de données et développons les bases des algorithmes qui effectueront le dépistage.

Notre second projet concerne la rétinographie et permet le dépistage de maladies oculaires. Nous souhaitons développer un système CAD (Computer-Aided Diagnosis) pour aider les ophtalmologues à dépister trois maladies oculaires spécifiques, souvent « silencieuses » : le glaucome, la dégénération maculaire associée à l’âge et les rétinopathies liées au diabète. Dans la phase initiale de ce projet, nous nous focalisons sur la délinéation de structures aperçues dans les images. Le dépistage automatique, en large échelle, peut aider les médecins à identifier d’avantage des patients nécessitant un suivi plus proche. Dans ce contexte, l’utilisation combiné des méthodes automatiques et senseurs portables moins couteux pourraient permettre une dissémination et un abaissement de coûts dans l’identification de ces patients.

Le troisième projet consiste en une plateforme d’intelligence artificielle (IA) qui permet de garantir un niveau de reproductibilité maximal. Dans la recherche, la reproductibilité est difficile à réaliser et assurer à long terme. Cette plateforme d’IA permet au chercheur scientifique de travailler sans avoir besoin d’installer ni donnée ni logiciel dans son propre ordinateur. Il peut utiliser un parc de serveurs de calcul mis à disposition par l’Idiap pour entraîner et tester ses algorithmes en IA.  Avec une première version déjà en 2012, la plateforme respecte des critères de confidentialité des données, ce qui est très apprécié dans domaine de la santé.

Quelles sont les spécificités de votre travail de recherche, en particulier en ce qui concerne l’utilisation de l’IA dans la médecine ?

Le développement d’algorithmes IA pour la médecine n’est possible qu’avec une collaboration étroite entre ingénieurs, médecins et professionnels de santé. Le déploiement des systèmes de CAD basés sur l’IA peut permettre une meilleure standardisation de certains diagnostics, et une montée en puissance des processus cliniques, moins dépendants du facteur humain.  Dans certaines conditions, ceci peut apporter une vraie plus-value sur le diagnostic, le traitement et, avec un peu d’espoir, l’élimination des maladies.

Le développement de l’IA est, néanmoins, dépendant de l’échange de données de qualité et d’une surveillance et d’ajustements continus lors de son déploiement.  À mon avis, cette boucle opérationnelle ne peut être mise en place qu’avec un partenariat solide entre les professionnels de santé et les ingénieurs pour la mise en service de systèmes intelligents qui puissent soulager notre système de santé.  Pour une communication efficace, les systèmes de CAD doivent être extrêmement interprétables par les professionnels de santé, faute de quoi, une boucle vertueuse ne pourra guère être implémentée à long terme.


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