Malgré quelques craintes, l’IA est déjà une réalité dans le monde de la santé

Digital Health Connect 2023 (81)

L’intelligence artificielle (IA) générative, popularisée par l’avènement de ChatGPT, trouve déjà des applications très concrètes dans la santé. Il est désormais possible de l’utiliser pour mettre en place des programmes spécifiques de nutrition, pour un suivi post-AVC ou encore pour faciliter les relations médecin-patient. C’est ce qu’ont démontré des experts du domaine, qui se sont exprimés à l’occasion de la 11e édition de Digital Health Connect, évènement de référence en lien avec la digitalisation de la santé. Certains conférenciers présents ont également exprimé leurs craintes sur le manque de fiabilité actuelle des modèles d’IA et sur la nécessité de placer le patient au cœur des réflexions.

Organisée par la Fondation The Ark, l’association Swiss Digital Health et la HES-SO Valais/Wallis, la manifestation a accueilli plus de 120 personnes vendredi à la Clinique romande de réadaptation de Sion. C’est Christian Lovis, médecin-chef du service des sciences de l’information médicale aux HUG qui a ouvert les feux. Selon lui, beaucoup d’exemples montrent qu’il faut utiliser les intelligences artificielles avec lucidité. « Ce ne sont pas les IA qui vont améliorer le futur, mais c’est bien nous qui définissons l’utilisation que nous en faisons ». Il est essentiel de donner du sens aux datas et à ce qui en est fait, par exemple en réhabilitant les données basées sur des textes plutôt que des formulaires préformatés.

Andrei Kucharavy, co-fondateur du Gen Learning Lab à la HES-SO Valais/Wallis, a ensuite rappelé le fonctionnement technique des Large Langage Models (LLMs), souvent à la base de l’IA générative. Ceux-ci ne réfléchissent pas, mais choisissent ce qui est le plus probable. Selon lui, les LLMs en santé peuvent représenter un danger, en raison des erreurs et des soucis d’interprétation possibles. « Mais pourtant, ils restent inévitables, notamment dans un contexte où l’on digitalise les données et où les patients se renseignent sur Internet. Avec ces données et ces nouvelles pratiques, les LLMs auront ainsi un narratif bien plus étendu ».

Détecter les « signaux faibles »

« L’IA offre la possibilité au personnel soignant de dégager du temps pour les patients, et se focaliser sur les tâches complexes », souligne de son côté Blaise Jacholkowski, Principal Business Consultant chez Zühlke. Des applications basées sur l’IA pourraient ainsi informer sur les premières démarches à suivre. « Ces intelligences artificielles seraient très utiles pour détecter les signaux faibles et anticiper certaines maladies ».
La conférence s’est poursuivie avec la présentation de trois applications concrètes basées sur de l’intelligence artificielle. La première est le NutriBot, un chatbot conversationnel qui guide les utilisateurs dans leur alimentation. « Après avoir renseigné son âge, son sexe, son poids et sa taille, vous pouvez faire une photo d’un plat et l’envoyer au robot. Celui-ci l’analyse via 9 milliards de données et transmet une recommandation, en lien avec les calories et les ingrédients utilisés », précise Dimitri Percia David, professeur en data science à la HES-SO Valais/Wallis. Le robot va ainsi sélectionner un type de nourriture, tout en offrant des alternatives plus saines. « Ce robot n’a pas vocation d’être un dispositif médical et est plutôt destiné aux nutritionnistes, afin de mettre un humain entre l’IA et le client final ».

Aussi pour les patients post-AVC

De son côté, Abderrahmane Hedjoudje, médecin-adjoint en neuroradiologie à l’Hôpital du Valais, a expliqué comment il utilise l’intelligence artificielle pour suivre les patients ayant subi un AVC, et ce dès l’entrée aux urgences. Concrètement, des capteurs sont installés sur et autour des personnes prises en charge, afin de recueillir un maximum de données. « Il faut tenir compte du fait que l’IA est capable de voir les petits changements, non détectables par l’humain. Ces signaux faibles pourront prédire l’évolution des patients ». Pour mettre en place ce type de projet, il est indispensable d’avoir une collaboration entre informaticiens et médecins, et surtout de les immerger dans le travail quotidien.

La troisième utilisation concrète de l’IA dans la santé a été présentée par la start-up valaisanne Health.me Technologies et son fondateur Mohamed Alibashe. Ce dernier a créé une application mobile qui retranscrit les consultations médicales et en fait des résumés à l’attention des patients. Ceux-ci peuvent être facilement partagés avec les proches. « Notre application utilise la reconnaissance de la parole, ciblée sur la terminologie clinique. Elle améliore la qualité des soins en valorisant mieux les consultations médicales et l’expérience médecin-patient ».

Des « frénétiques enthousiastes » aux « paranoïaques dramatiques »

La conférence s’est conclue par une table ronde réunissant Laura Tocmacov (Fondation Impact IA), Tony Germini (Calyps), Henning Müller (HES-SO Valais/Wallis) et Christian Lovis (HUG). Celle-ci a notamment porté sur la polarisation actuelle due à l’IA, avec des « frénétiques enthousiastes d’un côté et des paranoïaques dramatiques de l’autre », selon Christian Lovis. « Il est vrai qu’il y a très peu de place à la nuance avec l’IA aujourd’hui. Si des patients l’utilisent, cela ne veut pas dire qu’ils ont été intégrés dans le processus. Les patients voudraient que cela soit utile pour eux, et pas uniquement pour les médecins », a précisé Laura Tocmacov.

La plupart des gens utilisent l’IA sans vraiment comprendre son fonctionnement. « Il est donc vital de faire de la sensibilisation, y compris dans le cadre scolaire », selon Henning Müller. « L’éducation se fait, mais petit à petit. Les jeunes sont plus enthousiastes que les plus âgés, avec qui le travail est long. Mais on essaie, au travers de nos produits, d’accompagner les personnes et le changement sociétal qui s’annonce avec l’IA », rappelle Tony Germini.

Un bilan très positif

Sébastien Mabillard, modérateur de la conférence et président de Swiss Digital Health, avait le sourire au terme de cette 11e édition réussie. « Certains sont favorables à l’utilisation de l’IA, tandis que d’autres s’y opposent fermement. A ce stade, l’essentiel est de pouvoir en débattre, et c’est précisément le rôle d’un évènement comme Digital Health Connect, qui a, une fois de plus, permis de créer le dialogue entre professionnels de la santé et ingénieurs ».

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